Ce mardi 26 août 1940, plus tard que prévu, notre famille et moi, nous formons un groupe
de treize personnes et de deux voitures. Tout ce petit monde quitte Puy-l’Evêque. Monsieur Etienne Lacoste arrive à 9 heures, il a été retardé, je ne sais pour quelles raisons. Nous
déclamons nos adieux chez Lacoste, nous avons bénéficié, de l'hospitalité de toute cette famille dans cette région médiévale et austère en ces temps difficiles. Et enfin, notre clan : ma maman,
mon papa , mon oncle Joseph, ma tante Marie, ma grand-mère, mon oncle François, mon oncle Edouard, mes cousins Fernand et Jacques, mon petit frère Pierre et madame Maria, notre vendeuse et moi,
nous prenons la route ! Par amitié, nous nous arrêtons chez Gasruste et à l’église puis nous voilà parti pour Cahors. Nous arrivons dans un commerce où nous pouvons acheter de l’essence, des
souliers pour madame Maria. Nous dînons et nous attendons peu de temps, patiemment monsieur Pourchsel pour nous introduire à la préfecture. Il pleut et nous repartons de plus belle. Nous
arrivons à Brives vers 18 heures. Mon papa et oncle Joseph achètent des pneus. Maman nous procure des sandales neuves bleues marines toutes simples à mes frères et moi. Nos pieds seront plus à
l'aise pour le voyages, dans ce type de chaussures. Durant le trajet sur la route entre Cahors et Brives, grand maman, un peu malade nous a un retardé. Son malaise résume son trop plein
d’émotions, heureusement elle s’est vite rétablie. Une automobile chauffe, ce contretemps nous surprend. Oncle Joseph tout de noir vêtu parvient à rétablir le moteur.
Pendant ce temps, mon père cherche un endroit pour nous loger. Nous arrivons à Ibzerck, gentil petit bourg plongé dans un brouillard laiteux. Nous soupons un repas simple et allons
coucher dans de vrais lits. Je dors avec grand maman et madame Maria dans la même chambre. Mon oncle François et Edouard, Fernand, Jacques et Pierre dans une autre chambre. Tante Marie et
Oncle Joseph s'installent dans une troisième chambre et mes parents dans une autre. Notre bâtisse solide, à Liège nous attend. Je m’endors plein d’espérance et plus du bonheur de rentrer chez
soi.
Limoges nous apparaît dans la brume du matin de ce jeudi 27 août. Peu à peu, le soleil se
lève et une belle journée apparaît, que nous apprendra-t-elle ? A 8 heures, nous sortons de notre hôtel, j'ai bien dormi. Nous déjeunons dans l’automobile et nous apprenons que les jeunes ne sont
pas tous mobilisés. Aussitôt, nous reprenons espoir et nous poursuivons notre route. La voiture de papa réparée, nous prenons place sur les sièges après le dîner, un casse-croûte improvisé
devant la gare des Bénédictins. A trois heures, nous partons et nous nous dirigeons vers Château-Roux. Une petite alerte pour le radiateur se précise dans la mécanique de la deuxième voiture.
Nous pensons aux conséquences de cet incident pour la suite. Heureusement, l'issue heureuse ne se fait pas attendre. Puis nous prenons de l’essence à une station. Nous continuons notre
route et les paysages magnifiques défilent. La voiture de Papa subit une crevaison, la réparation apparaît rapidement. De nouveau, nous percevons la rumeur persistante : les jeunes gens
sont enrôlés dans ce conflit. Malgré toutes ces mauvaises nouvelles, nous cherchons un logement nous nous arrêtons à Orléans et ne nous ne trouvons rien. Nous longeons la Vienne et là nous
rencontrons des officiers belges nous disent que les jeunes hommes prenaient la direction de Macon et là arriveraient en Belgique en train. Tous, nous sommes perplexes. Qui
croire ? Nous cherchons après un logement, quatre chambres au moins. Nos deux Jacques trouvaient toujours ensemble tous les ingrédients pour palier à nos besoins. Nous logeons
séparément, moi depuis quelques jours avec madame Maria, nous pensons aller demain jusque Bourges. Mais Dieu nous le permettra-t-il, mais nous espérons quand même, le jour s'éteint et s'est
bien déroulé. Remercions Dieu et nous espérons vivre des jours semblables.
Le vendredi 29 août 1940, nous quittons Chartres à 7 heures. Nos connaissances de Puy, monsieur et
madame Poussard nous accompagnent et des personnes, des liégeois nous rejoignent. Ils connaissent de vue notre oncle Joseph. Nous arrêtons à Lavet, pour tâcher d’avoir un peu de beurre. Nous
devons nous ravitailler en essence mais malheureusement le pompiste nous sert qu’à partir de 2 heures. Nous décidons de manger et patiemment attendons l’heure dite. A 3 heures, nous partons
pour Bourges et nous devons passer la ligne de démarcation. En pleine joie , sur une route droite, un drapeau français, un peu plus loin un drapeau allemand et au milieu la liberté des
français se dissout. Nous allons partir, un gendarme français nous demande nos papiers et nous indiquons notre route dans cette France Occupée. Quelle sensation formidable me procure cette
traversée, malgré toutes les embûches, nous sommes passés et nous continuons. Notre destination Auvigny, nous trouvons des chambres pour passer la nuit et évidemment nous sommes séparés. Papa,
maman, mon frère, mes cousins et leurs parents dans l’hôtel de la Chaumière. Madame Maria et moi, oncles Jacques et Edouard logent à l’Hôtel Bœuf. Notre éveil se renouvellera aux aurores. Tous
les événements de la journée se sont bien enchaînes.
Pour un samedi, le départ est plus matinal à 8 heures, heure allemande, nous partons de cette région
de la Loire terriblement bombardé. La deuxième voiture conduite par l'oncle François crève avant notre point de chute. Après la crevaison, on reprend la route et nous ne retrouvons plus
Monsieur Defossé. Nous attendons et décidons de continuer dans l’espoir de le retrouver. Nous passons à Moulardis, toujours pas de nouvelle de ce monsieur Defossé, nous reprenons la route et
décidons de dîner à Courteneuf. La clientèle des hôtels même les plus petits est composée en majorité d’allemands. Oncle François, avant de s'endormir, a réparé le pneu défectueux pour le
lendemain nous puisons partir.
Le dimanche, debout à 7 heures, nous déjeunons. Nous assistons à l’office de 8 heures dans une
église sans vitraux, la bâtisse, sans son âme, me paraît lugubre. En voiture, nous traversons des régions de vallées. Nous passons par Mezière, ce bourg est devenue ville morte, sans habitant.
A Charleleville, nous sommes dirigés sur Membre où enjambons la frontière belge. Nous traversons Pussemande sans aucune difficulté. Enfin, nous sommes en Belgique, nous respirons à plein
poumons, les adultes, boivent avec délectation et cérémonie un bon verre de bière. Vers Gedinne, nous devrons nous ravitailler en essence. Papa hésite de s’arrêter dans cette ville, son
intuition s’avère exacte puisqu’il y a pas d’essence. Plus loin non plus, à la tombée de la journée, Haufays nous apparaît. Les adultes décident d’y passer la nuit à l’Hôtel du Bonau. Nous
soupons, jouons aux cartes et au lit sur un matelas belge, quel bonheur !!
Premier septembre début du mois scolaire et début de semaine, réveil à 7 heures, nous faisons la toilette, nous
allons chercher du lait et du beurre et en voiture. Nous chargeons les valises. Mais papa ne sait pas mettre en marche la voiture faute d’essence. Nous en cherchons partout dans le village et
par chance nous en trouvons. A cause de toutes ces tracasseries, papa est de mauvaise humeur. Une personne fort aimable nous en livre deux litres pour aller jusqu’à Wellin. Dans cette
ville quelle déception, nous ne trouvons pas le breuvage indispensable pour la bonne marche de cette voiture. Nous devons aller jusque Rochefort. Oncle François nous remorque jusque là. A
Rochefort, notre mésaventure continue, pas moyen d’avoir une seul litre d’essence.. Vous en aurez ! Nous sommes terriblement contrarié. Nous décidons de dîner. L'aubergiste nous cuisine du
bifteck, salade et des pommes de terre. Un parfum de Belgique transpire à travers l'assiette. Nous trouvons cela excellent. Après dîner, Oncle Joseph, après réflexion, nous donne 5 litres
d’essence. De cette façon, nous arrivons facilement jusque Marche. Le dilemme se pose aux alentours de Marche, si nous ne trouvons rien, nous serons tous en panne d’essence. Mais à la Grâce de
Dieu, nous arrivons et ô bonheur, nous trouvons chacun de l’essence. Papa 15 litres et Oncle Joseph et Oncle François 10 litres. Nous roulons tous pour Liège. Nous chantons ou nous crions, nous
rions. Et bientôt c’est à dire à 17 heures, la banlieue Liégeoise se découvre. Tilleur, Seraing, Ougrée et Kinkempois sont dépassés et la basilique et son dôme dessine Cointe . Nous passons la
Meuse au pont de Commerce et nous arrivons chez nous vite sur les hauteurs, un tour d’inspection dans notre ville s'impose. Nous buvons un verre d’eau chez tante Maria, nous ne devons pas
y rester, nous avons hâte de retrouver notre commerce. Nous prenons le temps, juste le temps de s’embrasser. Les protagonistes de cette aventure se quittent. Notre petite famille reprend ses
racines en Belgique, à Liège, dans mon quartier, à l’orée de ma rue, dans ma maison. Nous sommes revenus et nous ne repartirons plus.
© Véronique Dubois